Je venais tout juste de sortir du placard comme femme trans – dans la communauté trans, on appelle ça un « bébé trans ». Je travaillais dans le domaine de la technologie en tant qu’entrepreneure, et c’était un bon endroit. C’était assez petit, mais pas minuscule.

Le travail au bureau de Vancouver était intéressant et passionnant. J’avais vraiment besoin de cet emploi, parce que ça faisait un moment que je n’avais pas travaillé, et que j’avais besoin de survivre, de fournir des repas à mes enfants et de payer leurs factures. Les personnes trans, et les femmes trans en particulier, savent que nous sommes à une situation fâcheuse d’être renvoyées pour des « motifs non discriminatoires ». En tant qu’entrepreneure, j’étais très vulnérable.

Il y a un certain aspect du domaine de la technologie où les gars « agissent comme des gars ». L’une des façons pour les entreprises d’essayer de mettre les jeunes hommes à l’aise est de les encourager à boire au travail, surtout les vendredis—il y a beaucoup de consommation d’alcool. Un jour, un de mes collègues avait bu trop de bière. L’alcool lui a comme délié la langue. Il a décidé que le moment était venu de me dire à quel point il était l’allié des femmes trans.

Devant tout mon service, il s’est lancé dans une tirade au sujet de mon corps. Ça a duré environ 10 minutes, et il a parlé de mon derrière et de mon entrejambe. Il a commencé à parler de bites et à dire à quel point ça ne le dérangeait pas que j’en aie une ou non. Je crois qu’il a utilisé le mot « bite » environ 25 ou 30 fois.

J’étais près de clients et complètement consternée par ce qui se passait. Je n’avais pas vraiment beaucoup d’expérience avec l’attention non désirée. Alors que j’étais assise sur une chaise et qu’il me dominait, en train de me dire toutes ces choses, personne n’a rien fait. Je trouve ça épouvantable qu’ils aient juste laissé ça se produire.

Il est ensuite reparti, tout joyeux, après avoir terminé. Mon gestionnaire s’est pointé par la suite et a dit: « Eh bien, c’était vraiment inapproprié, vraiment pas correct. » Tout le service m’a alors demandé: « Veux-tu que j’appelle les RH? Ça ressemble à un problème qui concerne les RH. » D’un côté, il y avait ce type qui n’avait pas arrêté de parler de mon corps et de souligner la seule chose dont je ne veux jamais qu’on parle. De l’autre, ce gestionnaire me demande très publiquement si je veux prendre les mesures qui mèneraient au renvoi du type en question.

Quelques semaines plus tard, j’avais quitté cet emploi. Je n’arrivais plus à travailler, c’était juste horrible.

Quelques années s’écoulent et je me retrouve ailleurs, en tant que gestionnaire. Le même homme se fait embaucher, et à partir de ce moment, chaque fois que je le vois, la seule chose à laquelle je pense est cette journée-là, ce moment-là quand j’étais plus jeune. 

Je me suis retrouvée incapable de fonctionner au travail en raison de quelque chose qui était arrivé plusieurs années auparavant. Ma peur était que cette personne m’entraîne dans un cauchemar où je devrais décider entre causer du tort à un travailleur s’il disait quelque chose d’inapproprié, ou causer du tort à la haute direction parce qu’elle avait laissé la situation se produire, ou causer du tort à moi-même parce que je n’avais rien fait pour l’empêcher. 

Je pense que toutes les personnes faisant partie d’un groupe minoritaire vulnérable ont déjà vécu la peur que je ressentais. Malgré tous les privilèges que je possède—mes privilèges non acquis et mes privilèges acquis—je ne fais toujours pas confiance à mon employeur pour me soutenir. Les entreprises savent être créatives lorsqu’elles veulent se débarrasser de vous—elles se débarrassent toujours des problèmes. J’avais l’impression que si je faisais des histoires au sujet de cette personne, ça compromettrait ma capacité à grimper les échelons de l’entreprise.

Je me sens assez chanceuse lorsque je me compare à d’autres femmes qui ont vécu des situations horrifiantes. Je garde également à l’esprit que le harcèlement sexuel au travail, sous toutes ses formes, se produit seulement parce qu’il est facilité par le milieu de travail. Il existe toutes sortes de hiérarchies de pouvoir.