Les femmes et les autres personnes qui portent plainte pour agression sexuelle n’arrivaient pas à obtenir des audiences équitables en passant par les institutions, y compris les entreprises, donc elles ont utilisé un nouvel outil, l’Internet. Cela s’est avéré très efficace et a été perçu comme un signal d’alarme important.

Michael Hobbes, journaliste et animateur de balado, You’re Wrong About: “Cancel Culture,” 7 juin 2021.

Auparavant, les personnes qui subissaient du harcèlement sexuel n’en parlaient pratiquement à personne. C’est alors que #MoiAussi (#MeToo) est arrivé.

Le mouvement #MoiAussi a commencé à la fin de 2017, lorsque l’actrice américaine Alyssa Milano a publié un gazouillis demandant aux gens de partager leurs histoires d’agression et de harcèlement sexuels. Des millions de personnes ont participé en utilisant le mot-clic #MoiAussi.

Voir toutes ces histoires a aidé les gens à réaliser que l’agression et le harcèlement sont très communs, ce qui les a aidés à ressentir moins de honte et de culpabilité par rapport à leurs propres expériences. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, les gens sont beaucoup plus susceptibles de partager leurs histoires publiquement. Ils le font eux-mêmes, habituellement sur les réseaux sociaux, ou parfois à travers les médias en parlant avec un journaliste.

Voici quelques histoires vraies de personnes qui ont dévoilé publiquement le harcèlement qu’elles ont subi.

  • À Edmonton en 2017, un homme copropriétaire d’un bar a tripoté à répétition un membre du personnel. Elle a signalé l’incident à la direction, mais rien n’a été fait, et l’homme a continué à mal se comporter. Huit mois plus tard, elle a quitté son emploi et publié un message public sur Facebook dans lequel elle a expliqué pourquoi elle avait démissionné. Grâce à sa publication, certains de ses collègues ont aussi démissionné, des groupes de musique qui étaient censés jouer au bar ont annulé leurs spectacles, les médias ont couvert l’histoire, et le bar a finalement fermé ses portes de façon permanente. 
  • À Toronto en 2018, une femme a été renvoyée de son emploi dans une entreprise en démarrage du domaine de la technologie après avoir porté plainte aux RH parce qu’elle était harcelée sexuellement par l’un des cadres de la compagnie. En 2019, elle a publié un gazouillis anonyme décrivant ce qui lui était arrivé, l’entreprise a mené une enquête, et le cadre a quitté la compagnie. Elle a rédigé un texte anonyme décrivant ce qui lui était arrivé qu’elle a publié sur Medium, ce qui a éventuellement mené à une couverture médiatique, et deux mois plus tard l’entreprise a fermé ses portes. En 2020, la femme a raconté toute son histoire à un journaliste de Global News, qui a écrit un long article sur le sujet en utilisant son véritable nom, avec sa permission.
  • À Montréal en 2020, une femme a partagé sur Instagram le récit de l’agression sexuelle qu’elle avait subie, ce qui a encouragé des douzaines de femmes à partager des histoires semblables. Certaines d’entre elles ont publié leurs histoires à partir de leurs propres comptes, alors que d’autres l’ont fait de façon anonyme. Certaines des personnes nommées ont perdu leur emploi, d’autres ont présenté des excuses publiques, et d’autres ont menacé d’intenter des poursuites pour diffamation. Le ministre de la Justice du Québec a alors réuni un groupe d’experts afin de trouver des moyens de permettre aux personnes ayant subi des agressions sexuelles de s’orienter plus facilement au sein du système de justice québécois.

Les gens dévoilent leurs histoires publiquement pour toutes sortes de raisons. Voici certaines des raisons les plus communes:

  • Elles veulent avertir les autres afin que les gens sachent qu’il faut éviter le harceleur et/ou l’employeur du harceleur.
  • Elles veulent embarrasser publiquement le harceleur, ou s’assurer que le harceleur comprenne que ce qu’il a fait était blessant et inacceptable.
  • Elles veulent que leur employeur ait honte publiquement pour ne pas avoir mis fin au harcèlement.
  • Elles veulent sensibiliser les gens au fait que le harcèlement est vraiment commun.
  • Elles veulent bâtir une communauté avec d’autres personnes qui ont vécu des expériences semblables.
  • Elles veulent du soutien, une catharsis ou la guérison.

Ce sont toutes de bonnes raisons pour dévoiler l’affaire publiquement et, en fait, il n’y a pas de mauvaise raison. Si vous voulez dévoiler publiquement le harcèlement, vos raisons sont légitimes, quelles qu’elles soient.

Cela dit, le dévoilement public peut entraîner des conséquences négatives. Voici certaines des conséquences négatives les plus communes, et comment vous pouvez vous protéger contre elles.

En dévoilant publiquement le harcèlement, vous risquez d’être poursuivi pour diffamation

Si vous dites de mauvaises choses sur le harceleur ou votre employeur, ils pourraient vous poursuivre pour diffamation. « Diffamation » est un terme juridique. Il sert à décrire les situations où quelqu’un dit publiquement des choses sur une autre personne qui ne sont pas vraies ou qui causent du tort à la réputation de la personne. Il peut s’agir d’un message publié, ce que l’on appelle souvent un « libelle », ou de paroles prononcées, ce que l’on appelle des « propos diffamatoires » dans certains endroits au pays.

La diffamation relève du droit civil et non du droit criminel, ce qui signifie que la police n’est pas impliquée.

N’importe qui peut déposer une plainte pour diffamation. Il n’est pas nécessaire d’avoir un dossier solide; il faut seulement avoir assez d’argent pour se payer un avocat.

À bien des égards, les poursuites pour diffamation sont le parfait outil pour les hommes accusés de violence sexuelle. Le fait d’intenter une poursuite permet aux hommes accusés de violence sexuelle de recadrer le récit en ce qui a trait à la responsabilité et au blâme, et de se présenter comme des victimes de fausses allégations. Il revient alors au défendeur de prouver que ses déclarations de violence sexuelle sont vraies.

Mandi Gray, chercheuse postdoctorale, Université de Calgary.
« Cease and Desist/Cease or Resist? Civil Suits and Sexual Violence. »

Voici quelques exemples de situations où des personnes ont été poursuivies pour diffamation après avoir dévoilé publiquement le harcèlement qu’elles avaient vécu.

  • En 2018, une femme de Calgary a écrit un billet de blogue anonyme où elle déclarait avoir été agressée sexuellement par un journaliste lorsqu’elle travaillait pour un réseau de télévision. En enquêtant sur ces allégations, le réseau a divulgué le nom de la femme. Le journaliste accusé a intenté une poursuite d’une valeur de 7,5 millions de dollars contre elle et le réseau.
  • Il y a environ cinq ans, « Laura » a été harcelée et agressée sexuellement par son boss pendant un voyage d’affaires. Elle a été renvoyée une heure après avoir signalé ce comportement. La lettre ouverte qu’elle a publiée sur les réseaux sociaux au sujet de l’agression a entraîné le dépôt d’une poursuite pour diffamation de la part de l’organisation pour laquelle elle travaillait. La poursuite a été abandonnée, mais Laura a perdu son domicile après s’être retrouvée sans emploi.
  • En 2020, les personnes qui avaient été accusées de harcèlement et d’agression sexuels sur le compte Instagram d’une femme de Regina ont menacé de la poursuivre pour diffamation. La femme a fermé son compte en réponse à ces menaces. Elle n’a jamais été poursuivie, mais un homme a intenté une poursuite contre Facebook, qui possède Instagram, dans le but d’obtenir 1 million de dollars en dommages-intérêts.

Il est impossible de connaître vos risques d’être poursuivi pour diffamation. Vos risques d’être poursuivi sont plus élevés si vous nommez le harceleur (ou si l’identité du harceleur est évidente même sans le nommer), si votre histoire retient beaucoup l’attention, si le harceleur est bien connu, s’il a beaucoup d’argent pour embaucher des avocats, ou s’il a déjà intenté des poursuites par le passé.

On peut vous poursuivre même si ce que vous dites est vrai, et même si vous pouvez le prouver. Parfois, les harceleurs lancent des poursuites pour diffamation en sachant qu’ils n’ont aucune chance de gagner dans le but de vous pousser à changer votre histoire ou à la retirer.

Si vous vous faites poursuivre pour diffamation, vous aurez besoin d’embaucher un avocat, et le processus sera cher et long—il n’est pas rare qu’un cas prenne deux ans ou plus à être résolu. L’affaire peut se retrouver dans les « limbes judiciaires  », et ne peut être retirée avant que cinq ans se soient écoulés. Donc, si vous songez à dévoiler publiquement le harcèlement que vous avez subi, et surtout si vous prévoyez nommer le harceleur, c’est une bonne idée d’en parler d’abord avec un avocat. Consultez Comment trouver un avocat et faire affaire avec lui.

Si vous dévoilez publiquement le harcèlement, des étrangers pourraient vous attaquer ou vous agresser

Voici une journaliste japonaise qui décrit ce qui lui est arrivé en 2017 après avoir dit durant une conférence de presse qu’elle avait été violée deux ans plus tôt par un collègue:

« Le contrecoup m’a durement frappée. J’ai été dénigrée sur les réseaux sociaux et j’ai reçu des messages, des courriels et des appels haineux de la part de numéros inconnus. J’ai été traitée de “salope” et de “pute”, et on m’a dit que je “devrais mourir”. Il y a eu des débats sur ma nationalité, parce qu’une véritable Japonaise n’aurait pas parlé de ces choses “honteuses”. De fausses histoires ont commencé à apparaître en ligne au sujet de ma vie privée avec des photos de ma famille. J’ai reçu des messages de la part d’autres femmes qui me critiquaient pour avoir échoué à me protéger moi-même. »

Ce qui lui est arrivé est très commun. Ce ne sont pas toutes les personnes qui dévoilent publiquement le harcèlement qu’elles ont subi qui sont attaquées ou agressées, mais c’est souvent le cas. D’habitude, ça veut dire des personnes qui vous crient dessus ou qui vous traitent de noms en ligne, mais parfois c’est pire que ça: les gens vous envoient des menaces de viol ou de mort, publient vos renseignements personnels ou encouragent les autres à vous harceler ou à harceler vos amis et votre famille, ou essaient de communiquer avec votre employeur dans le but de vous faire renvoyer.

Si vous voulez dévoiler publiquement le harcèlement que vous avez subi, mais réduire les risques d’être harcelé pour l’avoir fait, voici certaines choses que vous pourriez prendre en considération:

  • Vous pourriez publier votre histoire de façon anonyme au lieu d’utiliser votre véritable nom.
  • Vous pourriez essayer de ne pas dévoiler le nom de votre employeur actuel.
  • Vous pourriez renforcer votre sécurité numérique avant de publier. (Comme retirer vos renseignements personnels d’Internet, et limiter les personnes qui peuvent voir vos publications sur les réseaux sociaux.) Vous trouverez de bonnes ressources sur le sujet ici, ici et ici.
  • Vous pourriez avertir vos amis avant de faire votre publication, et leur demander d’être prêts à vous aider si vous êtes confronté à du harcèlement ou à des agressions.

Si vous dévoilez publiquement le harcèlement que vous avez subi, vous pourriez perdre votre emploi ou avoir de la difficulté à en trouver un nouveau

C’est un vrai risque. Beaucoup de gens ont décrit comment leur carrière avait plongé après avoir dévoilé leur histoire publiquement. Les entreprises ne veulent pas embaucher de gens qui se sont plaints publiquement du harcèlement sexuel qu’ils ont subi parce qu’elles craignent qu’ils le refassent. Et puis, généralement, c’est assez commun que les gens jugent sévèrement les personnes qui se plaignent du harcèlement.

Si vous vous inquiétez pour votre réputation professionnelle, votre inquiétude est probablement justifiée. Si, malgré tout, vous souhaitez dévoiler publiquement ce qui vous est arrivé, voici quelques choses que vous pourriez faire pour essayer de vous protéger:

  • Ne nommez pas votre employeur.
  • Ne liez pas votre vrai nom à votre histoire.
  • Lorsque vous racontez votre histoire, essayez de la garder factuelle et sobre.
  • Dites clairement qu’en dehors du harcèlement, vous aimez votre travail et votre employeur.
  • Dites clairement que vous regrettez d’avoir à dévoiler la situation publiquement et que vous auriez préféré ne pas avoir à le faire.
  • Dites clairement que vous essayez d’aider votre entreprise à mieux gérer le harcèlement, au lieu d’être motivé par la colère et le désir de vengeance.

Si vous dévoilez publiquement le harcèlement que vous avez subi, vous risquez de gâcher les procédures juridiques que vous avez lancées ou le règlement que vous avez obtenu

Si vous êtes impliqué dans un processus de plainte officiel ou une poursuite judiciaire, vous risquez de gâcher vos chances en dévoilant votre histoire publiquement. Voici comment ça pourrait arriver:

  • Ça pourrait permettre au harceleur ou à votre employeur d’anticiper ce qui s’en vient, leur donnant le temps de changer leur version des faits ou de détruire des éléments de preuve.
  • Ce que vous dites pourrait être utilisé contre vous en cour, l’autre partie prétendant que vous avez menti ou que vous avez essayé d’influencer d’autres témoins, ou utilisant ce que vous dites pour essayer de s’en prendre à votre personnalité ou à vos motivations.
  • Si les gens vous attaquent en ligne, les personnes qui étaient prêtes à vous soutenir (en témoignant, par exemple) pourraient changer d’idée.
  • Si vous avez signé une entente de non-divulgation, dévoiler votre histoire publiquement pourrait aller à l’encontre de cette entente. Vous pourriez alors avoir à rembourser l’argent que vous avez reçu dans le cadre de votre règlement, et votre employeur pourrait décider de vous poursuivre pour rupture de contrat.

Si vous participez à un processus judiciaire officiel, c’est une bonne idée d’obtenir les conseils de votre avocat avant de dévoiler votre histoire publiquement.


À cette étape, vous avez probablement une bonne idée à savoir si dévoiler votre histoire publiquement est bon pour vous.

Si vous décidez de le faire, votre première grande question sera de déterminer si vous préférez essayer qu’un journaliste raconte votre histoire, ou si vous préférez le faire vous-même.

La principale raison pour en parler à un journaliste est que cela rend votre histoire plus crédible, parce que la plupart des gens présument que ce qu’un journaliste écrit est vrai.

Mais il y a des désavantages à faire ça. Vous perdez le contrôle sur ce qui est dit, où cela est dit, et quand cela est dit. Un journaliste pourrait vous pousser à fournir des détails embarrassants que vous ne voulez pas nécessairement partager publiquement. C’est possible qu’un journaliste conclue une entente avec vous (comme accepter de garder votre nom confidentiel ou ne pas mentionner certaines parties de votre histoire), et finisse par ne pas la respecter. Si vous ne voulez pas être cité pendant que vous êtes interviewé, vous devez indiquer au journaliste que ce que vous dites est confidentiel avant de commencer à parler, pas après.

Mais pour la plupart des gens, parler avec un journaliste n’est pas une option de toute façon. Un journaliste pourrait être intéressé par votre histoire si ce qui s’est passé était particulièrement scandaleux, ou si le harceleur (ou votre employeur) est bien connu. Mais autrement, il est habituellement assez difficile d’intéresser un journaliste parce que le harcèlement sexuel se produit tous les jours, et que ce n’est pas vraiment une « nouvelle ».

Cela signifie que, si vous dévoilez publiquement votre histoire, ce sera probablement par vous-même, sur les réseaux sociaux. 

Nous vous laissons avec quelques dernières choses à prendre en considération.

Une liste de choses auxquelles vous devriez penser avant de dévoiler publiquement le harcèlement que vous avez subi

  • Avez-vous des gens importants dans votre vie avec qui vous voudriez en parler d’abord?
  • Avez-vous des gens dans votre vie à qui vous ne voulez pas dire ce qui vous est arrivé et qui pourraient l’apprendre une fois que votre histoire sera publique?
  • Êtes-vous à l’aise avec l’idée que votre histoire reste publique pour toujours?
  • Si vous avez un avocat, lui avez-vous parlé de votre plan?
  • Avez-vous fait ce que vous pouviez pour réduire vos risques d’être poursuivi pour diffamation?
  • Si vous êtes poursuivi, avez-vous confiance en votre capacité à vous défendre?
  • Êtes-vous impliqué dans un processus de plainte ou un processus judiciaire qui pourrait être gâché par une sortie publique?
  • Avez-vous signé une entente légale qui pourrait limiter ce que vous pouvez dire publiquement? Consultez Comment décider s’il faut intenter une poursuite (et à quoi vous attendre si vous le faites).
  • Avez-vous fait ce que vous pouviez pour renforcer votre sécurité et votre protection numériques?
  • Avez-vous recruté du soutien pour vous aider à assurer votre bien-être et votre sécurité après avoir dévoilé publiquement le harcèlement que vous avez subi? Consultez Bâtir un réseau de soutien.