Il y a huit ans, j’étais adjointe au marketing pour une entreprise américaine d’appareils médicaux, responsable de tout le marketing pour le Canada. Une grande partie de ça consistait à soutenir l’équipe des ventes. On s’attendait toujours à ce que les vendeurs socialisent avec les clients potentiels. Ces clients se trouvaient dans les hôpitaux ou étaient des ambulanciers, un domaine fortement dominé par les hommes blancs. La partie la plus importante de mon travail, même si je suis très instruite et que j’ai beaucoup d’expérience, était de satisfaire le regard des hommes.

Les vendeuses et les femmes en marketing étaient essentiellement utilisées comme des divertissements pour les clients potentiels. On s’attendait à ce qu’après les conférences, nous socialisions avec les clients, habituellement en allant souper ou prendre un verre. J’ai bien compris que mon rôle en allant à ces réunions, en plus de mettre en place les kiosques et de faire tout le travail logistique de marketing, était de flatter l’ego de ces hommes, les clients potentiels.

Il y a eu un incident à l’une de ces réunions. Il était peut-être 21 h ou 22 h. Les gens avaient bu et nous étions tous assis autour de la table, à jaser de tout et de rien. Un client était assis à côté de moi. Nous avions une bonne relation, surtout parce que son fils travaillait pour notre entreprise. Il buvait ou prenait des shooters. J’ai dit: « Oh, mon Dieu, est-ce que tu bois de l’ouzo? Ça sent mauvais. » Il a répondu par un petit rire, puis il a dit: « Ouais, approche-toi et sens. » Je me suis penchée pour sentir l’alcool et il m’a embrassée sur les lèvres devant tout le monde, devant mon boss et tout.

Tout le monde riait comme si c’était drôle. Je me suis sentie humiliée, parce que j’étais dans une relation sérieuse avec l’homme qui est maintenant mon mari. Ensuite, je me suis sentie vraiment triste parce que personne n’a rien dit—pas une seule personne, pas un seul de mes collègues, pas même mon boss, qui nous a toujours dit qu’il était là pour s’assurer que nous étions en sécurité et protégés. Quand je l’ai regardé pour obtenir de l’aide, son expression disait essentiellement « tais-toi et prends-le, parce qu’il s’agit d’une entente de 40 millions de dollars ». J’étais tellement fâchée que j’ai écourté ma soirée. Le client n’arrêtait pas d’insister pour me raccompagner à ma chambre. J’ai dû m’enfuir avec une de mes collègues vendeuses.

Je n’ai plus jamais accepté de socialiser après ça. Je n’en ai parlé à mon mari que six ans plus tard. Mon boss et moi étions très proches avant, mais après cet incident, je ne lui faisais plus confiance. J’avais l’impression que je n’avais nulle part où aller, qu’il n’y avait personne à qui je pouvais parler de cette situation. Il n’était pas un employé de notre organisation, donc si je m’étais adressée aux ressources humaines, elles n’auraient rien pu faire.

Les vendeuses avec qui j’ai travaillé étaient minces, blanches et blondes, alors que moi, j’ai des courbes. Beaucoup de gens, quand ils me regardent, ne sont pas certains à 100 % de mon origine ethnique, et me trouvent exotique. Toutes les femmes savaient que nous étions des objets de désir. En fait, c’était devenu si grave que j’ai commencé à le faire aux représentantes des ventes en les mettant dans des positions où je savais que ça plairait aux clients masculins. C’est quelque chose que je regrette beaucoup. J’étais jeune, j’étais naïve, je ne comprenais pas ce que nous faisions en réalité.

Je suis plus mature maintenant, mais c’était le premier vrai emploi de ma carrière. J’avais peur de le perdre. J’avais peur d’être celle qui dit quelque chose et qui est ensuite mise sur une liste noire par tout le monde, alors je me suis tenue tranquille. J’ai passé beaucoup de temps à me blâmer pour ce moment d’humiliation. Pendant longtemps, je me suis sentie vraiment toute petite. Je me suis sentie coupable de ne pas m’être défendue. C’était très clairement un jeu sur la dynamique du pouvoir. Je ne ressens plus la même chose maintenant.