J’ai rejoint l’armée dès que j’ai fini le secondaire. À l’époque, je pensais que le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles au travail se limitaient à des emplois de bureau plus « officiels ». Mais au Collège militaire royal du Canada (CMR), on vivait tous ensemble et on allait à l’école ensemble; ça ne ressemblait pas à un milieu de travail traditionnel parce qu’on était vraiment proches. Je ne voyais pas les blagues déplacées comme du harcèlement sexuel. Je riais avec les autres pour m’intégrer et pour ne pas attirer l’attention sur moi.

En y repensant, je me rends compte que c’était un environnement malsain où les cadets plus âgés s’en prenaient aux cadettes plus jeunes et les saoulaient. Il y avait des attouchements non désirés. Je n’ai jamais bu après la première année parce que c’était trop risqué. Je devais me protéger même contre les rumeurs, qui sont une forme de harcèlement sexuel. Ma réputation était en jeu même si je ne faisais rien. Avoir un copain depuis longtemps et ne jamais boire m’a aidée à éviter d’être victime de rumeurs et d’agressions.

Beaucoup d’hommes n’acceptaient pas qu’on leur dise non. Ils prenaient le flirt ou la gentillesse comme une invitation ou une promesse pour du sexe, et ils pouvaient devenir agressifs. Les femmes étaient en minorité et traitées comme des objets. Mais je n’ai jamais pensé signaler quoi que ce soit parce que je ne savais pas que c’était du harcèlement sexuel. C’était juste comme ça que les choses se passaient. Même si j’avais su que c’était illégal, je ne sais pas si je l’aurais signalé parce que je n’aurais pas voulu être au centre d’une enquête qui ne donnerait probablement rien.

Un an après avoir obtenu mon diplôme du CMR, j’étais extrêmement déprimée et je ne savais pas pourquoi. Je pensais juste que j’étais prédisposée à la dépression ou que j’étais épuisée par le travail. Mais en y repensant, je me rends compte que c’était l’environnement toxique qui me faisait sentir comme ça. Même si je performais bien ou si les gens me disaient que mon avenir était prometteur, tout pouvait arriver et ma carrière pouvait être affectée en un claquement de doigts. Le caractère injuste de ma situation était très perturbant. Je travaillais encore plus fort en réaction au harcèlement sexuel que je voyais ou que je vivais. Je pensais que je méritais que de mauvaises choses m’arrivent et que je devais compenser l’horrible personne que j’étais.

Parler de mon histoire publiquement a été très thérapeutique à plusieurs niveaux. Sentir qu’on est écouté est une partie très importante de la guérison. J’ai reçu tellement de messages positifs, certains me disant même « merci ». Je n’ai pas eu de réactions négatives jusqu’à maintenant, ce qui, je sais, n’est pas le cas pour tout le monde. Je trouve que j’ai eu de la chance que mon cas à moi ait déjà reçu un verdict avant qu’il ne soit rendu public et qu’il n’y ait pas eu de « il a dit, elle a dit ». Je me trouve chanceuse parce que la plupart des cas ne rendent même pas jusqu’à un procès.

Une petite partie de la justice passe par le système juridique. L’aspect le plus réparateur de la justice pour moi a été de reconnecter avec la communauté militaire et de pouvoir protéger d’autres personnes. Ça aurait fait une grosse différence pour moi si j’avais connu les définitions juridiques de l’agression sexuelle et du harcèlement sexuel, et de savoir qu’il y aurait des conséquences. Je veux que les autres sachent qu’ils méritent d’être mieux traités que je l’ai été.