Les réseaux de murmures (whisper networks) peuvent vous aider à vous protéger au travail. Ici, nous vous expliquerons ce que sont les réseaux de murmures, comment ils fonctionnent, leurs principaux désavantages, et les façons de vous en servir pour vous protéger.

Commençons par définir ce qu’est un « réseau de murmures ».

L’expression « réseau de murmures » est utilisée pour décrire les situations où des personnes s’avertissent les unes les autres de façon discrète et en privé au sujet d’autres personnes qui sont dangereuses.

Le réseau de murmures diffère du signalement et de la plainte puisque c’est une méthode qui évite délibérément les personnes en position d’autorité.

Rien ne vous empêche de murmurer au sujet d’une personne et de la signaler, ou vous pouvez commencer par murmurer avant de signaler la personne plus tard, ou vous pouvez seulement faire l’un ou l’autre. Ce sont des choses complètement différentes.

Comment fonctionnent les réseaux de murmures

Les réseaux de murmures existent depuis toujours. Voici comment ils fonctionnent.

Une personne est harcelée. Elle en parle à un ou des amis. Ces amis en parlent à d’autres personnes. Progressivement, la réputation du harceleur se répand et les gens apprennent à l’éviter.

Certains réseaux de murmures tournent autour d’un seul milieu de travail. Les avertissements s’y font habituellement verbalement.

D’autres réseaux concernent une entière industrie. Les avertissements pourraient alors se faire électroniquement. Voici quelques exemples de réseaux de murmures numériques:

  • Au Royaume-Uni, les femmes travaillant au parlement ou dans son orbite avaient créé un groupe de discussion servant à lancer des avertissements au sujet des politiciens et des autres employés parlementaires qui les avaient harcelées.
  • Aux États-Unis, des femmes travaillant dans le domaine du journalisme avaient créé une feuille de calcul Google intitulée « Shitty Media Men » (hommes médiatiques merdiques), où elles échangeaient des histoires sur les hommes travaillant dans les médias qui les avaient harcelées. 
  • Les travailleuses du sexe recueillent et publient des rapports sur les « mauvais rendez-vous » depuis des décennies pour s’avertir les unes et les autres au sujet de clients violents ou dangereux. À l’origine, ces rapports étaient imprimés, mais aujourd’hui, ils sont habituellement publiés en ligne ou échangés par courriel.

Les trois grands problèmes des réseaux de murmures

Le premier problème, c’est que les réseaux de murmures ne joignent pas tout le monde. Pour avertir une personne, il faut d’abord lui faire au moins un peu confiance. (Sans quoi, elle pourrait vous dénoncer au harceleur ou à vos boss, et ça pourrait vous mettre dans le trouble.) Ça signifie que les gens ont tendance à murmurer seulement avec les personnes qu’ils connaissent et en qui ils ont confiance.

Les personnes qui ne sont pas socialement connectées sont donc les moins susceptibles d’être averties. C’est un problème puisqu’elles sont aussi les personnes les plus à risque d’être harcelées.

Les personnes à l’écart des réseaux de murmures ont tendance:

  • à faire nouvellement partie du milieu de travail
  • à faire nouvellement partie de l’industrie
  • à être plus jeunes que le reste de leurs pairs
  • à être racialisées, handicapées, ou à faire partie de la communauté 2SLGBTQIA+
  • à être neurodivergentes, surtout lorsqu’elles sont atteintes d’autisme
  • à ne pas être très connectées socialement
  • à ne pas parler couramment la langue de travail majoritaire

Le deuxième problème, c’est que les réseaux de murmures ne font rien pour forcer le harceleur à arrêter de harceler les gens. Ils permettent à certaines personnes d’éviter le harcèlement. Mais ils n’empêchent pas le harceleur d’essayer de harceler les gens, et ils ne font rien pour punir le harceleur ou le retirer du milieu de travail.

À cause de ça, beaucoup de gens critiquent les réseaux de murmures. Mais ce n’est pas notre cas. Stopper un harceleur, ce n’est pas à ça que servent les réseaux de murmures. Ils servent simplement à avertir les gens. Ça n’empêche personne de signaler le harceleur ou de prendre d’autres mesures.

Le troisième problème des réseaux de murmures, c’est qu’ils peuvent vous causer des problèmes sur le plan judiciaire. Ça risque moins d’arriver avec un réseau verbal, et ça risque plus d’arriver avec les réseaux qui laissent des traces écrites, comme les messages textes ou les publications sur les médias sociaux.

Si vous dites qu’une personne est un harceleur ou qu’elle a fait une chose horrible, c’est possible que cette personne vous poursuive pour diffamation. « Diffamation » est un terme juridique. Il décrit les situations où une personne dit publiquement des faussetés qui viennent entacher la réputation d’une autre personne. Il peut s’agir d’un message publié, ce que l’on appelle souvent un « libelle », ou de paroles prononcées, ce que l’on appelle des « propos diffamatoires » dans certaines régions du pays.

Se faire poursuivre pour diffamation n’arrive pas souvent, mais ça arrive. Les poursuites pour diffamation deviennent de plus en plus communes parce qu’il y a maintenant plus de chances qu’il y ait des traces numériques de ce qu’on dit et de ce qu’on partage.

Nous ne discuterons pas en détail de la diffamation ici. L’article Comment décider de dévoiler publiquement le harcèlement ou non vous en dira plus.

Comment utiliser les réseaux de murmures pour vous protéger et protéger les autres

Voici cinq conseils pour permettre à votre réseau de murmures de fonctionner aussi bien que possible.

Reconnaissez un avertissement lorsque vous en recevez un

Les avertissements sont parfois directs, comme celui-ci:

« Jacob est un prédateur sexuel. Les gens se plaignent de lui depuis des années, mais personne ne l’arrête. »

Mais il arrive beaucoup plus souvent qu’ils soient indirects, comme ceci:

« As-tu rencontré Ryan? Tu devrais te préparer. C’est un homme très amical. »

Ou celle-ci:

« J’aime bien Dave. Mais je reste loin de lui lorsqu’il boit. »

Ou celle-ci:

« Alain a vraiment l’air d’avoir un œil sur toi. Ha ha. Fais attention! »

Les gens ne vous diront presque jamais directement qu’une personne est un harceleur. C’est parce qu’elles ont peur de se mettre dans le trouble. Alors plutôt que de vous le dire directement, elles feront des sous-entendus.

Nous allons approfondir un peu plus cette notion parce que certaines personnes ont de la difficulté à reconnaître ce genre d’indices, et nous ne voudrions pas que vous les manquiez.

Voici comment déterminer si une personne tente de vous avertir:

  • Elle abordera probablement le sujet alors que vous êtes seuls tous les deux.
  • Elle ne vous dira probablement pas directement que la personne en question est un harceleur. Elle pourrait plutôt utiliser un langage qui, si vous rapportez ses paroles, ne sonnera pas trop mal. Comme « charmeur », « vieux jeu » ou « bizarre ».
  • Habituellement, elle ne vous donnera pas de faits. (Elle pourrait connaître des faits, mais ne pas vous les dire.) Elle pourrait plutôt se contenter de dire des choses générales et vagues, comme « Kevin a une réputation » ou « Tout le monde est au courant pour Sylvain ».
  • Elle pourrait mentionner à quel point elle aime ou admire la personne au sujet de laquelle elle vous avertit. Vous pouvez complètement ignorer cette partie. Elle ne le fait que pour se protéger au cas où vous répétiez ce qu’elle vous dit.
  • Quelque part dans ce qu’elle dit, peut-être bien caché, se trouve un passage où elle vous avertit de rester à l’écart d’une personne ou d’un groupe de personnes. C’est cette partie-là qui est importante.

La règle d’or, c’est que si quelqu’un prend le temps de vous avertir, alors vous devriez la prendre au sérieux, même si son ton ou la manière dont elle le fait ne semblent pas très sérieux.

Remerciez la personne qui vous a averti

La personne qui vous a averti prend un risque. Elle vous fait une faveur. Vous devriez la remercier pour qu’elle sache que vous avez compris ce qui se passe et que vous n’allez pas la dénoncer au harceleur ou à votre boss.

Contribuez au réseau en transmettant vos propres avertissements

Plus il y a des gens qui participent au réseau de murmures, mieux il fonctionne.

Les gens hésitent souvent à partager des renseignements avec le réseau de murmures parce qu’ils ne pensent pas que ce qu’ils savent est assez pertinent pour valoir la peine d’être partagé. Mais ce n’est pas la bonne façon de voir les choses. Votre petite part de renseignements en soi n’est peut-être pas importante. Mais ajoutée à d’autres renseignements, elle pourrait le devenir.

Voici quelque chose qui est arrivé à quelqu’un que nous connaissons:

Lors d’une conférence, un homme et une femme ont bu quelques verres ensemble, et l’homme s’est ensuite mis à faire des avances à la femme d’une façon qui l’a rendue mal à l’aise. Elle en a parlé à une amie, et cette amie en a ensuite parlé à ses amies. Une fois que toutes les femmes ont comparé leurs expériences, il s’est avéré que cet homme s’était mal comporté avec des femmes durant des conférences à plusieurs reprises dans le passé. Deux femmes s’étaient réveillées le lendemain et s’étaient rendu compte qu’il les avait textées à répétition durant la nuit en leur disant qu’il voulait avoir une relation sexuelle. Une troisième femme a raconté qu’il avait découvert son numéro de chambre et qu’il était venu cogner à sa porte à 2 h du matin. Aucune de ces femmes ne l’avait invité à se comporter de cette façon, et son attitude avait provoqué chez elles un malaise et un léger sentiment d’être en danger. Elles en ont parlé à l’organisatrice de la conférence. Cette dernière a mené une enquête, a expulsé l’homme et lui a interdit de participer aux futures conférences.

La morale de cette histoire: n’hésitez pas à partager des renseignements. Les harceleurs veulent que vous restiez muets. Mais vous n’avez pas à l’être.

Invitez d’autres personnes à joindre votre réseau

C’est très important! Plus votre réseau est grand, plus il protège les gens.

C’est particulièrement important d’inviter les personnes qui ont nouvellement intégré votre milieu de travail ou votre industrie, les jeunes, les personnes qui ne parlent pas couramment la langue parlée par la majorité dans le milieu de travail, les personnes racialisées, les personnes 2SLGBTQIA+, les personnes handicapées, les personnes neurodivergentes, et toute autre personne qui semble gênée, timide ou antisociale.

Ces personnes sont les plus à risque d’être harcelées, et elles sont aussi les plus à risque d’être écartées des réseaux de murmures. Vous pouvez arranger ça en les invitant.

Envisagez la possibilité de passer des murmures au signalement

Si les gens ne signalent pas le harcèlement sexuel dans votre milieu de travail (ou dans votre industrie), il y a probablement une très bonne raison. Nous ne sommes pas ici pour vous pousser à signaler les incidents si cela ne semble pas être une bonne idée.

Mais, si une personne est souvent désignée en tant que harceleur, il est probablement temps de songer sérieusement à la possibilité de la signaler officiellement.

Vous ne devriez pas faire pression sur les autres pour signaler, et vous ne devriez assurément pas signaler ce qui est arrivé à une autre personne sans sa permission.

Mais si vous remarquez qu’il y a quelqu’un dans votre entourage qui harcèle les gens à répétition, ça vaut la peine d’avoir une conversation au sein du réseau afin de déterminer si le temps est venu de signaler cette personne.

Nous espérons que cet article vous a aidé!

Nous vous encourageons fortement à participer aux réseaux de murmures. S’il n’y en a pas déjà un, et qu’il devrait y en avoir un, alors nous vous encourageons à en créer un.

Soyez prudent, et faites surtout attention à tout ce que vous communiquez par écrit.

Et S.V.P., rappelez-vous de toujours inviter les personnes qui se trouvent à l’extérieur du réseau parce qu’elles pourraient être celles qui en ont le plus besoin.